Audition de Françoise Nyssen, Ministre de la Culture : travaux d’évaluation dans le cadre du projet de loi de règlement sur les aides à la presse.

Printemps de l’évaluation

Mercredi 30 mai 2018, l’Assemblée Nationale entame une action inédite et concertée d’évaluation des politiques publiques, sous l’égide de la commission des finances, et intégrant l’ensemble des commissions permanentes, dans le cadre de l’examen du projet de loi de règlement 2017.

Missions : Culture ; Médias, livre et industries culturelles.

Compte spécial : Avances à l’audiovisuel public.

Mme Françoise NYSSEN, ministre de la culture.

M. Pierre PERSON, M. Gilles CARREZ et Mme Marie-Ange MAGNE, rapporteurs spéciaux.

Mon intervention :

Monsieur le Président,

Madame la ministre,

Monsieur le Rapporteur Général,

Chers collègues,

J’ai choisi de concentrer mes travaux d’évaluation dans le cadre du projet de loi de règlement sur les aides à la presse. Ces aides sont indispensables pour garantir le pluralisme de la presse qui est « une des conditions de la démocratie[1] ». Dans un contexte de forte mutation du secteur de la presse, qui a l’obligation de s’adapter face aux changements induits par le développement du numérique, établir le bilan d’un dispositif nécessaire pour soutenir une presse indépendante et un accès élargi à l’information, me paraît primordial. Une réflexion est par ailleurs menée en parallèle par Monsieur Schwartz, à votre demande Madame la ministre, sur l’avenir de notre système de distribution avec une réforme envisagée du cadre juridique issu de la loi Bichet du 2 avril 1947.

Les aides directes à la presse représentent 108,3 millions d’euros en autorisations d’engagements et 101,2 millions d’euros en crédits de paiements consommés en 2017. Elles sont regroupées au sein de  l’action n°2 Aides à la presse du programme 180 Presse et Médias. Ces aides directes sont décomposées en trois grandes familles :

  • La première est celle des aides à la diffusion dont fait partie l’aide au portage qui représentent 47,7 millions d’euros consommés en 2017 ;
  • En second lieu, les aides au pluralisme visent à soutenir les publications d’information politique et générale à faibles ressources publicitaires. Les crédits consommés en 2017 ont représenté 17,3 millions d’euros.
  • Enfin, les aides à la modernisation ont représenté 43,3 millions d’euros en autorisation d’engagement et 36 millions d’euros en crédits de paiement.

À ces aides directes recensées dans la mission Médias, livre et industries culturelles, il faut ajouter l’aide au transport postal à hauteur de 121 millions d’euros pour 2017, que l’on retrouve dans le programme 134 de la mission « Économie ». Enfin, il existe des aides fiscales indirectes en faveur de la presse dont la principale est le taux de TVA réduit de 2,1% aux publications de presse estimé à 160 millions d’euros de manque à gagner pour l’État pour 2017.

A ce stade, le premier constat que je souhaite faire est celui de l’incohérence de l’absence dans le périmètre de la mission Médias, Livres et industries culturelles, de l’aide au transport postal, qui représente tout de même 121 millions d’euros soit près de la moitié des aides directes mentionnées.

Le coût des aides directes hors dotations à l’AFP a été diminué par deux depuis 2009, conformément aux engagements pris lors des États généraux de la presse qui instauraient des aides exceptionnelles temporaires. Le niveau de ces aides est passé, selon votre Ministère et selon la Cour des comptes, de 495 millions d’euros en 2009 à 395 millions d’euros en 2013 et 245 millions d’euros en 2017. Cette baisse est liée à la décroissance de la compensation versée à la Poste, à la diminution mécanique des aides sociales aux départs en retraite des salariés de l’imprimerie et à la diminution de l’aide au portage passée de 70 millions d’euros en 2009 à 36 millions d’euros en 2017.

Je regrette cependant l’absence dans le Rapport annuel de performance d’un document budgétaire unique qui ferait une estimation chiffrée de tous les dispositifs d’aides directes et indirectes et de leur évolution pluriannuelle. Je relève donc avec intérêt la réponse du Ministère faite à la Cour des Comptes à ce sujet qui précise que ce document unique pourra être publié dès le PLF 2019. Cette mesure permettra de renforcer le contrôle et l’évaluation du Parlement sur cette politique publique, ce que nous ne pouvons qu’approuver.

Au cours des auditions que j’ai menées avec les différents acteurs du secteur de la presse, deux caractéristiques principales sont ressorties. La première est la transformation profonde que connaît le secteur de la presse liée au développement du numérique. Loin de signer la fin des entreprises de presse, le numérique a permis d’augmenter le lectorat et a favorisé la multiplication des publications. L’enjeu est aujourd’hui de développer des modèles économiques soutenables pour des acteurs qui connaissent des situations très variées puisque certains sont des pure players mais d’autres sont adossés  à un support papier.

Si la presse papier connaît des coûts logistiques et financiers plus élevés que la presse en ligne qui justifient que leur soit réservées certaines aides, notre dispositif peut être amélioré de façon à mieux prendre en compte les évolutions actuelles. En effet, dans le dispositif actuel des aides directes, les services de presse en ligne peuvent uniquement bénéficier de l’aide du Fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP) et de la bourse à l’émergence (Fonds de soutien à l’émergence et à l’innovation qui a été créé en 2016). Ils bénéficient aussi de certaines aides indirectes telles que la TVA réduite depuis 2014 ou l’exonération de contribution économique territoriale. Cette prise en compte croissante par notre dispositif de l’importance du soutien de la presse en ligne pourrait être encore perfectionnée. Ainsi, aujourd’hui, les aides au pluralisme sont à destination unique de la presse papier, ce qui peut poser la question du respect de cet objectif de pluralisme. Un élargissement des aides au pluralisme aux journaux en ligne me paraît pertinent.

En revanche, la proposition de la Cour des comptes, inscrite dans son rapport annuel de février 2018, d’instaurer une aide unique à l’exemplaire payant quelles qu’en soient les modalités d’achat et le support de diffusion, qui se substituerait aux différentes aides à la diffusion, ne me parait pas être la solution la plus adéquat. En effet, il me semble que la presse papier supporte des coûts logistiques plus importants que la presse en ligne et qu’elle doit être aidée spécifiquement à ce titre. En outre, le rapport d’Emmanuel Giannesini a montré qu’une telle aide entrainerait des effets distributifs importants en faveur de la presse déjà portée et risquerait de déstabiliser la Poste qui assumerait seule les couts de distribution dans les zones les moins denses. L’importance de la mission de service public portée par la Poste justifie une aide actuelle proportionnellement plus importante.

La seconde caractéristique de ce secteur concerne les difficultés majeures que connaît le secteur de la distribution. Elles sont dues à des problèmes structurels, notamment le développement du numérique et la baisse de la vente au numéro de la presse papier.

L’entreprise Presstalis concentre les inquiétudes. L’entreprise a connu une crise importante en 2012 qui a conduit l’État à verser, en plus des 18 millions d’euros annuels versés au titre des aides à la modernisation de la distribution, 15 millions d’euros à l’entreprise sur la période 2012-2013 et à lui accorder deux prêts à hauteur de 14 millions d’euros en 2012 et 30 millions en 2014. Malgré ces aides et le plan de réforme adopté, Presstalis s’est retrouvée au bord de la cessation de paiement à la fin de l’année 2017 avec un besoin de trésorerie non couvert pour 2018 de 70 millions d’euros.

Si les décisions stratégiques prises par la direction sont régulièrement mises en cause, il ne faut pas négliger l’importance des causes structurelles à cette situation. Une réflexion sur la réforme de ce système de distribution issu de la loi Bichet de 1947 est d’ailleurs en cours actuellement, comme je l’ai déjà évoqué. Un nouveau plan de financement a été homologué le 14 mars 2018 : en contrepartie d’économies importantes mises en œuvre par l’entreprise, 52 millions d’euros seront versés à Presstalis par un apport des éditeurs et la mise en place d’un nouveau prêt FDES.  Les économies attendues concernent principalement le licenciement de 230 personnes.

J’attire votre attention, Madame la Ministre, sur les difficultés des salariés de cette entreprise qui subissent régulièrement des plans de sauvegarde de l’emploi qui se traduisent par des licenciements importants et la fermeture de certains sites. Alors on a parlé du Limousin, à Limoges justement, 15 emplois sont menacés par la fermeture du site de Presstalis.

Ces travaux me conduisent à vous poser plusieurs questions Madame la Ministre.

1° Ma première question porte sur la pertinence de la prise en compte de la transformation numérique de la presse dans notre système d’aides à la presse. À ce titre, l’élargissement des aides au pluralisme aux journaux en ligne ne pourrait-il pas se justifier, notamment pour ceux qui ne sont pas déjà adossés à un journal papier et connaissent des ressources limitées ? Il serait en effet intéressant d’adapter aujourd’hui notre notion du pluralisme de la presse d’information générale et politique à la presse en ligne.

2° Ma deuxième question porte sur la soutenabilité de notre système de distribution. Si j’espère que la situation de Presstalis s’améliore grâce au nouveau plan de sauvegarde homologué en mars dernier, je m’interroge sur les difficultés récurrentes et structurelles de l’entreprise. Une réflexion est-elle menée au sein de votre ministère pour anticiper la réforme de ce modèle si jamais Presstalis venait encore à connaître une situation de cessation de paiement ? Le manque de soutenabilité de notre modèle de distribution ne conduirait-il pas à sa remise en cause aujourd’hui ?

3° Ma troisième question porte sur les orientations du rapport de Marc Schwartz non publié à ce jour, notamment concernant la modification de la régulation du secteur de la distribution. Le dispositif actuel est placé sous le contrôle de deux autorités de régulation : le Conseil supérieur des messageries de la presse dont font partie les éditeurs et l’Autorité de régulation de la distribution de la Presse qui dispose de peu de moyens humains et financiers pour mener à bien la mission qui lui a été confiée. Le rapport de Marc Schwartz recommanderait de confier cette mission à l’Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes (ARCEP). Pouvez-vous nous donner de plus amples informations sur cette perspective ? Des coûts budgétaires supplémentaires sont-ils à prévoir ? Je m’interroge également sur les réflexions du Ministère concernant une éventuelle fusion entre l’ARCEP et le CSA dans le cadre du projet de loi qui a pour objet de réformer l’audiovisuel public. Cette fusion est-elle à l’ordre du jour ?

4° Enfin, ma dernière question porte sur l’absence des aides au transport postal de la presse dans le périmètre de la mission Médias, livres et industries culturelles. L’esprit de la LOLF est bien de regrouper les dépenses par finalité pour permettre au Parlement un meilleur contrôle sur les finances publiques. Pourquoi ne serait-il pas possible d’insérer ces crédits dans cette mission alors que cette subvention à la Poste répond à la finalité bien particulière de soutien à la presse ? L’expérimentation menée en 2013 a permis de transférer la subvention destinée au transport postal de la presse dans le programme 180 de la Mission Médias, Livres et industries culturelles. Elle en a donc montré la faisabilité et l’intérêt pour l’autorisation budgétaire donnée par le Parlement et pour le contrôle de l’exécution des dépenses, mené au cours de ce « Printemps de l’évaluation ».

Je vous remercie.

 

[1] Conseil Constitutionnel, 18 septembre 1986, Décision 86-217 DC, Loi relative à la liberté de communication

 

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